Extraits - Le dernier envol

"Alexine se tenait droite, immobile, le visage fermé et le regard vide. Elle n'avait pratiquement pas versé de larmes depuis l'annonce de la terrible nouvelle, l'organisation méthodique des funérailles lui ayant permis de les réfréner et de camoufler ses sentiments. Mais tôt ou tard, elle finirait par craquer. C'était inéluctable. Le moment n'était simplement pas encore venu. Pour l'instant, elle devait se montrer forte pour les siens. De nouvelles responsabilités lui incombaient : veiller sur son frère et sa sœur, beaucoup plus fragiles qu'elle."

"Malgré cette déconfiture, elle se sentit soudain plus sereine et ses mouvements corporels chaotiques stoppèrent net. En réalité, ce n'était pas une défaite, mais une victoire, un soulagement : l'hôte ne lui voulait aucun mal. Sa présence bénéfique avait pour seul but de lui venir en aide. Mais conditionnée par le monde réel et son mode de pensée étriqué depuis sa plus tendre enfance, elle n'avait pu percevoir, d'emblée, son caractère pacifique."

"Malgré les circonstances assez dramatiques du moment, la sœur d’Arthur et d’Alexine semblait relativement calme et sereine. Mais cet état ne trouvait son origine ni dans la résignation, ni dans le désespoir. Il puisait sa source dans quelque chose de plus profond et de plus intime. Quelque chose d'inexplicable qui grandissait en elle et qu'elle était encore incapable de contrôler ou même de dompter. Un nouveau pouvoir, un nouveau don, héritage de ses ancêtres, et dont elle ne mesurait pas encore l'ampleur exacte, prenait doucement ses quartiers au plus profond de son être."

"Physiquement, il ne ressemblait pas à ses sœurs. Pour quelqu'un d'extérieur, il était même difficile de penser qu'ils étaient tous trois issus de la même grossesse. Il dépassait Alexine et Ambre d'une tête, avait des yeux couleur noisette et des cheveux bruns assez courts. Côté caractère, il était relativement timide et réservé, vivant un peu en retrait et en décalage par comparaison avec les jeunes gens de sa génération. Depuis toujours, cette curieuse impression de ne pas être à sa place l'habitait, sans qu'il en comprenne véritablement les raisons. Fuyant volontairement les guindailles et les sorties entre copains, il restait volontiers à la maison, plongé dans ses lectures consacrées, entre autres, aux romans de science-fiction et aux ouvrages d’astronomie."

"Alexine et Ambre, estomaquées par l'audace de leur frère, suivirent avec attention son évolution.

— Je ne le reconnais plus ! déclara Ambre, les yeux écarquillés.

— Moi non plus ! admit Alexine.

— Il est tellement timide d'habitude avec les filles.

— Ce monde lui donne une assurance qu'il n'a pas d'ordinaire, c'est marrant.

— C'est dingue, je suis complètement scotchée !"

"Les gardes n'étaient ni vraiment hommes ni vraiment chauves-souris, mais un subtil mélange des deux, tirant plus sur le côté animal qu'humain : un corps d'homme, fortement raccourci au niveau des jambes, émaciées et décharnées ; une tête de chauve-souris et de longues ailes noires ; au milieu des peaux membraneuses gesticulaient deux petites mains humaines, couvertes de poils noirs."

"Nombre d'hommes et d'animaux, qui vivaient autrefois dans cette paisible et agréable vallée verdoyante, s'en étaient échappés pour rejoindre des contrées plus hospitalières, à l'Ouest. Les malheureux qui n'avaient pu fuir avaient, quant à eux, connu un sort peu enviable : la mort, ou pire que la mort, la transformation de leurs âmes en Ombres, condamnées à errer sans fin dans les ténèbres et à accomplir les desseins de leur créatrice."

— Et c'est quoi exactement un Kangélé ? l'interrogea-t-elle, taquine, en croisant les bras.

Eustache l'imita et adopta un air supérieur.  

— Un Kangélé est…

L’animal commença à marcher dans la direction opposée, les bras croisés dans le dos, tel un professeur sur une estrade. Son énorme queue se balançait de gauche à droite, et de droite à gauche, sans interruption.

— Comment dire ? dit-il en tâtonnant son menton, faisant mine de jouer les intellectuels. Dans votre système de référence — je parle de votre monde bien entendu —,  je suis une espèce de kangourou. À quelques détails près…

Il s’arrêta net et fit demi-tour.

— Lesquels ?

— Primo, je parle. Deuxio, je suis nettement plus beau. Et tertio, je suis beaucoup plus intelligent.

— Rien que ça ? l'asticota Ambre.

— Non, c'est vrai. J'allais oublier, enchaîna-t-il, finaud. Je suis également pourvu de magnifiques ailes géantes, ajouta-t-il en les déployant.

Ambre et Arthur partirent dans un énorme fou rire.

— Quoi ? Mes ailes vous posent un problème ?

— Non ! répondit Ambre, qui peinait à se reprendre. C'est juste que nous n'avons pas tout à fait la même définition du mot « géant ». 

— À peu de choses près… ajouta Arthur.

Eustache se retourna pour regarder ses petites ailes, puis se bidonna à son tour.

— Je vous ai bien eus, hein !